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cieusement, et même avec joie, les plus inutiles des épreuves ; il faut qu’elle se courbe sans murmurer sous la plus dure des servitudes, qu’elle subisse la pire des tyrannies, la tyrannie anonyme. Il faut que la France soit forte. Par conséquent, il faut qu’elle se prive non seulement du superflu mais même du nécessaire ; il faut qu’elle se laisse pressurer, broyer, chair et âme, sous la meule tricolore ; il faut qu’elle soumette ses pensées à l’estampille officielle, qu’elle fasse matriculer ses haines et mettre en carte ses sympathies ; il faut qu’elle se saigne aux quatre veines pour verser les millions et les milliards dans la gueule toujours ouverte du monstre qui la gruge. Il faut cela, pour que la France soit forte. Il faut qu’elle souffre, qu’elle trime, qu’elle turbine, qu’elle truque, qu’elle ahanne et qu’elle crève — et qu’elle paye, paye, paye !

C’est pour cela — pour que la France soit forte — que tout ce qui constitue la valeur vraie d’une nation a été sacrifié à de honteuses impostures. C’est pour cela que la République, depuis 1870, a dépensé plus de six milliards pour une flotte qu’elle n’a pas et qu’elle n’aura jamais, et plus de trente milliards pour une armée qu’elle a et qu’elle aura jusqu’à la guerre. C’est pour cela que tous les citoyens ont à tendre leur cou au carcan militaire et au joug administratif, à témoigner d’un respect égal pour le livret matricule et les billets doux du percepteur. C’est pour cela qu’ils doivent se soumettre au despotisme galonné qui les meurtrit, les abrutit, les déprave ; qui jette leurs cadavres, par centaines et par milliers, dans la pourriture des casernes et les marais des colonies. C’est pour cela que notre enfance fut sinistre, notre adolescence lugubre et servile ; que, comme hommes, nous fûmes astreints à une discipline idiote et dégradante, traités ainsi qu’on ne devrait pas traiter des chiens ; que, au Tonkin, Okolovicz fut supplicié avec des raffinements de barbarie dignes de l’Inquisition, torturé, pendant des heures, jusqu’à la mort ; que, en Afrique, mon camarade Besserès fut assassiné, étranglé, étouffé par le bâillon qu’on lui