Page:Darien - La Belle France.djvu/215

Cette page a été validée par deux contributeurs.

blique et privée. J’ai eu l’occasion d’en apercevoir un, autrefois, trônant comme il convient dans son cabinet directorial. La pièce était vaste ; mais telle était l’importance du personnage que, lorsqu’il avait installé sa barbe dans un coin et sa décoration dans l’autre, il restait juste assez de place pour le mandat d’amener.

Ce directeur, avant que sa gloire se fût écoulée par le fond percé d’un bidon, avait joué un rôle prééminent dans la politique représentative de la France. Sa barbe avait été à l’honneur avant d’être à la peine (afflictive et infamante) ; à la droite d’un amiral russe venu à Paris pour préparer l’alliance fumeuse, elle avait symbolisé la France nouvelle, ivre d’espoirs démocratiques ; tandis qu’à la gauche du même marin moscovite, le nez sémitique d’un autre directeur de journal représentait la vieille France catholique, éprise de traditions inoubliables. Ce fut entre cette barbe et ce nez que l’émissaire de l’autocrate entra à l’Opéra où il écouta, debout, une Marseillaise à fendre l’âme.

De pareils événements sont rares, même en France ; ils sont célébrés avec l’enthousiasme qu’ils méritent, par la presse du gros public. Les articles qui les narrent ou qui les commentent sont rédigés par des individus dont le fonds d’épithètes laudatives et de périodes sonores est inépuisable, ou peu s’en faut. Ces individus savent, d’ailleurs, changer de ton suivant l’occasion. Il n’y a guère que leur orthographe qu’ils ne changent point. Ils passent, sur commande, du dénigrement à l’admiration, de l’approbation sans réserve au blâme le plus absolu ; sont aujourd’hui sceptiques et demain pleins de foi ; vibrants, presque toujours ; et surtout savent non seulement parler, mais crier, pour ne rien dire. Ils connaissent l’art difficile de joindre, bruyamment, l’inutile au désagréable. Généralement, ils sont fort satisfaits de leurs œuvres et de leurs personnes ; et la vertu ayant été inventée par des gens mécontents d’eux-mêmes, ils n’en usent point. Ce qui ne les empêche pas de la prêcher ; et aussi le calme, l’apaisement et l’union. On ne se figure pas ce qu’on peut remplir de co-