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cations des bons moines ; il accorde aux pauvres la patience qu’on demande pour eux ; et aussi les douleurs qu’on réclame implicitement. Après quoi, les braves moines continuent à bâtir. Quand le bâtiment va, tout va. Le bâtiment va, dans les congrégations. J’oserais dire qu’il court, qu’il vole, qu’il a des ailes. Les constructions s’élèvent comme par enchantement ; ou plutôt, pour parler un langage moins châtié mais plus canonique, c’en est une bénédiction. Votre calotin connaît la valeur de la pierre, et son pouvoir. Il en connaît la valeur, même, au sens littéral. Vous êtes entré au Sacré-Cœur de Montmartre, par exemple, et vous avez remarqué ces inscriptions qui mettent sur les murs des citations de l’Armorial bourgeois et du Bottin de l’aristocratie ; vous savez peut-être combien chacun des lauréats de ce palmarès de la superstition a payé la pierre qui porte son nom ; elle a coûté fort cher, cette pierre, et j’ai cru pendant quelque temps que son prix de revient la mettait à l’épreuve du feu. On m’a désabusé — et consolé.

Les riches payent très cher pour avoir leurs noms gravés sur les murs des temples ; les noms des pauvres ne sont pas gravés sur ces murs, et cependant les pauvres payent encore plus cher que les riches. Voilà des siècles qu’ils payent, avec leur sueur, avec leur sang, avec leur âme ; depuis que le premier charlatan chrétien a bâti la première église, depuis que le premier monument de domination et d’orgueil a souillé la face de la terre ; depuis que la croix ferma de ses deux bras désespérants l’horizon du genre humain. C’est avec raison, certes, que la légende chrétienne assure que lorsque son héros rendit le dernier soupir les ténèbres envahirent la terre et les morts sortirent de leurs tombeaux. Les ténèbres ne se sont pas encore dissipées, et ce sont les morts, drapés de linceuls noirs, toutes les superstitions pourries qu’incarne le prêtre, qui régissent l’humanité. Ces morts se sont fait bâtir de grands tombeaux par les vivants, de grands tombeaux dont les cryptes éventraient la terre et lui fouillaient les entrailles comme pour lui arracher sa fécondité,