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et sa bande, qu’il oublia de faire figurer dans cet armistice l’armée de l’Est tout entière.

Moltke, dans une lettre publiée récemment, raconte une anecdote typique. Au commencement de mars 1871, lorsque les troupes allemandes victorieuses bivouaquaient dans les Champs Élysées, Bismarck eut la fantaisie d’entrer, lui aussi, à Paris. Il y vint seul, monta jusqu’à l’Arc de Triomphe, s’arrêta quelques instants, tourna bride et s’en alla au pas de son cheval. Comme il traversait le bois de Boulogne, des badauds, dont un grand nombre avait saisi l’occasion si longtemps désirée de sortir de leur ville, le reconnurent. Aussitôt, ce fut une tempête de hurlements, de sifflets, d’imprécations. « Ah ! vous aimez la musique ! » dit froidement Bismarck ; et il arrêta son cheval. Il tira un cigare de sa poche, et faisant signe à l’un des siffleurs les plus enragés, il lui demanda du feu. Le tapage, de suite, s’apaisa ; au milieu d’un respectueux silence le siffleur s’avança et, fort humblement, alluma le cigare du grand homme.

Ce siffleur n’est pas mort, soyez-en sûrs. Il a été boulangiste et il est, présentement, nationaliste. Il vivra aussi longtemps que la France — la France militaire — et sera toujours l’un de ses meilleurs soutiens. C’est lui qui parle, la larme à l’œil, « des chères provinces », et qui affirme que, depuis l’année terrible, leurs sentiments n’ont point changé. En quoi il a tort. Il est vrai que le caractère français de l’Alsace, en 70 et avant 70, était des plus douteux et que son patriotisme ne fut pas de première grandeur ; il est vrai qu’à Strasbourg, à Bitche, ailleurs, la population civile ne donna point l’exemple du courage et, dès que tombèrent les premières bombes, négligea la défense des remparts pour s’occuper à sauvegarder ses propriétés ; les rapports de la Commission d’enquête sur les capitulations — elle a eu de l’ouvrage, celle-là ! — sont concluants à ce sujet, et tous les papotages chauvins ne sauraient prévaloir contre eux ; mais enfin, sans aucun doute, les sentiments de l’Alsace ont changé. Avant 1870, elle était allemande ; aujourd’hui,