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des voitures, vous arriverez à comprendre ça. Voilà l’explication du rôle du marchand. Qu’il soit trafiquant, industriel, financier, ou ce que vous voudrez, vous voyez qu’il a tous les droits. Il en use et il en abuse. Il est généralement libéral et progressiste, grand amateur de réformes ; toujours patriote ; souvent philanthrope. Quant aux promesses d’avenir qu’il étrangle derrière son comptoir, quant aux catastrophes de toute nature qu’il provoque, quant à l’épouvantable misère qu’il entretient mathématiquement, quant aux milliers de cadavres qu’entassent continuellement son avidité et son avarice, il vaut mieux n’en pas parler. Il suffit de dire que l’état commercial ou industriel est sans doute le pire fléau que le monde ait connu. Et c’est le développement de cet état qu’on veut bien nous promettre pour l’avenir ! On consent à admettre la possibilité de la disparition du prêtre et la nécessité de la suppression de l’homme d’armes ; mais le marchand doit subsister ; son âme doit devenir l’âme universelle. Je pense cependant que l’homme du futur, qui est peut-être l’homme de demain, ne vivra pas pour le trafic ; qu’il méprisera la saleté que nous appelons les affaires et qu’il vivra simplement pour vivre, sans autre but à sa vie que le bonheur et la beauté. Je pense que le prêtre avec sa croix, le soldat avec son sabre et le marchand avec son faux poids disparaîtront ensemble ; et que beaucoup de conceptions fausses, qui sont nécessaires à leur existence, disparaîtront en même temps ; l’idée de justice par exemple, qui après tout n’est qu’un des bras, chargé de tentacules laïques, de cette énorme et dégoûtante pieuvre qui s’appelle la Religion. C’est assez clair. La Justice est représentée, au fronton des édifices où l’on en débite, par une femme masquée d’un bandeau, à la longue robe, qui tient dans sa main droite un glaive et dans sa main gauche une balance. Cette femme, vous la connaissez. La Superstition religieuse protectrice du sabre du soudard et de la balance du mercanti, voilà le symbole de la Justice.

Quelle que soit l’apathie du civilisé d’aujourd’hui, et quelle que soit sa crainte d’une civilisation réelle, les ins-