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publique. De qui donc a-t-elle triomphé, cette République ? De personne, ni de rien. Et le seul triomphe qu’elle pourrait remporter sur elle-même s’appelle le suicide. Des monuments commémoratifs ! La France en est couverte ; le sol gémit sous le poids de ces édifices d’ostentation et de mensonge. Jamais un peuple n’avait demandé à la pierre ou au bronze de lui fournir tant de preuves palpables de sa dégradation, tant de témoignages de son abaissement. Et, entre deux inaugurations de statues à des héros équivoques, on entasse provocations sur reculades, fanfaronnades sur palinodies. On se fait très humble devant le Kaiser, qui semble disposé à prendre au sérieux l’affaire Schnœbelé ; on se résout à ne jamais demander franchement à l’Angleterre d’évacuer l’Égypte ; on envoie les navires français à Kiel, où ils doivent arriver le 18 juin, jour anniversaire de la bataille de Waterloo, et où, en se plaçant entre les vaisseaux anglais et allemands, ils répondent fort aimablement aux saluts de deux cuirassés dont l’un s’appelle le Wœrth et l’autre le Wissembourg ; on traque les réfugiés politiques et on les remet, noirs de coups et menottes aux mains, aux sbires des despotes qui les réclament ; on montre le poing aux Arméniens qui crient au secours ; on cherche aux Anglais des querelles absurdes et, sur leur ordre, on abandonne Fashoda.

On fait mieux. On se vautre pendant des années aux pieds d’un tyran dont on implore l’alliance. On vide des sacs d’or dans ses coffres ; on lui livre les proscrits qui se sont fiés à l’hospitalité française ; on lui livre tout ; on lui livrerait plus encore. Et quand, enfin, il se décide à laisser tomber de ses augustes lèvres quelques phrases vagues où il est question de sympathie ; lorsqu’il condescend à visiter la France — alors, c’est du délire. Le faux tanneur qui trône à l’Élysée met aux pieds de l’autocrate sa présidence à la fortune des peaux, les grands Corps de l’État se prosternent devant Sa Majesté slave qui passe, au milieu de l’enthousiaste frénésie du public, saluant la statue de Strasbourg et celle de Gambetta — saluts qui en