Marchand n’avait point à les prendre. Le pavillon français, ce pavillon qui couvre plus d’une marchandise équivoque, était attaqué à l’improviste ; Monsieur Marchand, qui en avait la garde, aurait dû le défendre, sans demander aucun avis. Il aurait dû traiter Lord Kitchener comme il avait déjà — paraît-il — traité les Derviches. Il aurait dû lui envoyer des balles, et non pas des salades.
S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il craignait — ainsi que tous les chefs de l’armée — d’engager une guerre pour laquelle la France, peut-être, est prête, mais pour laquelle les épauletiers ne le sont pas, certainement. Une guerre transformerait, forcément, le caractère de l’armée actuelle — cette armée active qui n’est qu’une armée prétorienne, gouvernée par la terreur, administrée par l’anonyme, et manifestement attendant son César. — Une guerre amènerait la constitution, réelle, de l’armée nationale. Or, les grandes armées nationales sont, dans l’équation sociale, une formidable inconnue. Les gouvernants, les grands pontifes de la croix et du sabre, s’en rendent compte. S’ils pouvaient supprimer les armées nationales, forcer les peuples à revenir au système des armées réduites, ils le feraient demain, avec joie. C’est ce qu’ils tentèrent de faire, officiellement pour la première fois, au Congrès de la Paix qui se tint à La Haye, sous les auspices du Czar. L’attitude de l’Angleterre, qui ce jour-là sauva le monde, fit avorter le projet des tyrans. Ce projet, néanmoins, continue à être défendu, d’une façon plus ou moins sournoise, par la presse continentale ; il l’était dernièrement, en France, par la plume autorisée du mouchard Lapeau, dit Lepelletier. Il s’agit, on le conçoit, de supprimer effectivement l’existence jusqu’ici théorique des armées nationales, de s’en tenir purement et simplement au vieux système des armées prétoriennes, d’arracher ainsi aux mains de la Révolution la force dont elle peut se servir demain, et de constituer enfin, entre les Pouvoirs internationaux, une nouvelle Sainte-Alliance.
Dans l’espoir d’une transformation semblable, qui leur