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quand vous vous mettrez en marche, des spectres qui s’évanouiront devant la lueur de vos torches.

Les Pauvres s’obstinent à croire, et à répéter partout, qu’il y a un Système social. Il n’y a de système social nulle part, et moins en France qu’ailleurs. Les pouvoirs civil, militaire, judiciaire, la finance, l’industrialisme, etc., sont profondément divisés et ne sont rattachés l’un à l’autre par aucun lien qui leur soit propre ; ils n’ont, au fond, pas un seul intérêt commun ; ils se gênent réciproquement dans leur exploitation des déshérités, se jalousent, se méprisent, se haïssent. Si leurs conflits, qui sont perpétuels à l’état latent, ne se terminent point en luttes fratricides, c’est seulement parce que l’Église met un peu d’ordre dans ce chaos d’intérêts égoïstes et aveugles ; assagit cette incohérence et maquille cette anarchie ; parce qu’elle unit, comme dans un faisceau d’épées dirigées contre les Pauvres, toutes les ambitions éphémères et les convoitises basses ; parce qu’elle les assemble, des liens prestigieux de sa morale et des liens subtils de sa diplomatie. Au fond, toute la politique sociale des classes dirigeantes, c’est la politique de l’Église. Il n’y a de classe dirigeante que l’Église. C’est grâce à son action multiforme et continue que l’incohérence de l’état actuel présente une apparence de cohésion. Le pauvre, l’opprimé, s’il se révolte, n’a donc pas à engager la lutte contre un système, le système social n’étant qu’une illusion populaire ; il n’a qu’à terrasser définitivement son éternel ennemi : le prêtre.

Les pauvres croient aussi que le travail ennoblit, libère. La noblesse d’un mineur au fond de son puits, d’un mitron dans la boulangerie ou d’un terrassier dans une tranchée, les frappe d’admiration, les séduit. On leur a tant répété que l’outil est sacré qu’on a fini par les en convaincre. Le plus beau geste de l’homme est celui qui soulève un fardeau, agite un instrument, pensent-ils. « Moi, je travaille », déclarent-ils, avec une fierté douloureuse et lamentable. La qualité de bête de somme semble, à leurs yeux, rapprocher de l’idéal humain. Il ne faudrait pas