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œil que le malheur a terni, et il peut y avoir quelque noblesse dans la résolution muette de son geste. Il est encore presque un homme.

Mais, lorsque le vaincu travestit ses revers en victoires morales, lorsqu’il se fait un manteau de théâtre du haillon de drapeau qui lui fut laissé, lorsqu’il prend des poses, crâne, parade, provoque, rentre dans son trou au premier signe de danger, en sort plus insolent que jamais, braille, brait, aboie, jappe, insulte, menace, disparaît pour reparaître et pour faire la roue : alors, le vaincu n’est pas seulement une chose laide : c’est une sale et méprisable chose — c’est une ordure.



Gloria Victis !

Ce n’est pas ainsi qu’on raisonne en France, je le sais.

Là, le vaincu est honoré, glorifié, choyé, tenu en haute estime. C’est, à vrai dire, le type le plus accompli, le plus parfait, la plus digne expression de l’humanité. Si vous voulez avoir droit au respect de tous, en France, commencez par vous faire battre. Toute la question est là : avez-vous été vaincu ? Pour savoir exactement quelle somme de respect vous sera dévolue, il s’agit simplement de dire, à haute et intelligible voix, combien de volées vous avez reçues. Ne cachez rien, avouez tout ; on vous tiendra compte de la plus faible capitulation et la moindre retraite sera portée à votre actif.

Voilà la règle. Il y a, naturellement, des exceptions pour la confirmer. S’il vous arrive d’être battu et que vous soyez Italien, par exemple, on n’aura pas assez de moqueries pour vous en gratifier ; si vous êtes Arménien, on vous rira au nez ; et si vous avez le malheur d’être Anglais, tant pis pour vous ; vous ferez connaissance avec l’esprit français, et vous verrez de quel bois il se chauffe — depuis que les Prussiens ont remis leurs cannes sous leurs bras.