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constitue pas précisément un système, mais une espèce de société anonyme de déprédation ; et dont le rôle, comme adjuvant de l’organisation administrative, n’est pas sans prix. Ce prix, les Pauvres le connaissent, naturellement. On ne peut pas être Français pour rien. C’est un grand bonheur d’être Français ; c’est un grand honneur aussi ; seulement, ça coûte ; ce n’est pas à la portée de toutes les bourses. Malgré tout, c’est à la portée de la bourse des Pauvres. Ils reculent devant tout effort qui pourrait faire d’eux des hommes, mais ils n’hésitent devant aucune dépense qui pourrait faire d’eux des Français. En effet, ils pensent que lorsqu’ils ont payé leurs impôts, leurs tributs et leurs redevances de toute nature, ils ont acquis le droit de se dire Français. Ils ignorent, veulent ignorer, que la qualité de citoyen d’un pays ne s’acquiert point, mais se prend. Être Français ne veut pas seulement dire : appartenir à la France ; cela doit signifier aussi : posséder la France. L’aristocrate, le bourgeois, possèdent la France ; la preuve, c’est qu’ils la vendent. Ils n’appartiennent pas à la France ; la preuve, c’est encore qu’ils la vendent. L’ouvrier, le pauvre, appartiennent à la France ; la preuve, c’est qu’on les fait mourir pour elle. La France ne leur appartient pas ; la preuve, c’est qu’on ne leur permet de vivre que pour l’aristocrate et le bourgeois. L’existence du Pauvre n’est admise, en fait, qu’autant qu’elle est nécessaire à l’existence du bourgeois. La qualité de Français, que le Pauvre croit avoir achetée, il ne l’a pas. Ce n’est point un titre régulier qu’on lui a vendu ; c’est un faux. En échange de l’argent qu’il a apporté, encore tout humide de ses sueurs et tout mouillé de son sang, on lui a donné une qualification sans valeur, sans signification. Un mot, de l’ombre, du vent. On l’a volé. Le seul droit qu’il ait acquis, c’est le droit d’exercer en France les vertus qui lui attirent les louanges de ses tyrans.

Ces vertus sont ridicules, lamentables. Quand on pense à des gens qui ont été flagellés par toutes les cruautés de la vie, souffletés par toutes ses ironies, dont chacun porte en soi des charniers d’illusions et des cimetières d’espoirs,