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tère. « À l’impossible, nul n’est tenu, » disent-ils. Mais il ne les lâche pas, l’impossible ! Et ils parviennent à subsister. À quel prix et comment, je crois que je n’oserai jamais le dire. J’ai voulu écrire un livre sur la misère française, un livre dans lequel j’aurais fait voir quelle somme d’énergie immonde il faut, pour vivre, aux êtres qui se sont résolus à se conduire en lâches. J’ai commencé ce livre il y a longtemps ; je l’ai abandonné ; je l’ai repris dix fois, cent fois ; et je ne le ferai sans doute jamais, tellement l’horreur me glace en l’écrivant, tellement je suis envahi par le dégoût ! Dernièrement, encore, j’ai essayé. Il me semblait entendre un grand cri venir de France, terrible comme un hurlement de supplicié, déchirant comme un sanglot d’enfant. Mais, vite, j’ai reconnu que ce n’était point un cri ; c’était un ricanement — un ricanement qui se terminait en prière. — J’ai jeté la plume… Je n’aime pas les pauvres. Leur existence, qu’ils acceptent, qu’ils chérissent, me déplaît ; leur résignation me dégoûte. À tel point que c’est, je crois, l’antipathie, la répugnance qu’ils m’inspirent, qui m’a fait révolutionnaire. Je voudrais voir l’abolition de la souffrance humaine afin de n’être plus obligé de contempler le repoussant spectacle qu’elle présente. Je ferais beaucoup pour cela. Je ne sais pas si j’irais jusqu’à sacrifier ma peau ; mais je sacrifierais sans hésitation celle d’un grand nombre de mes contemporains. Qu’on ne se récrie pas. La férocité est beaucoup plus rare que le dévouement.

Locke, après avoir visité la France, écrivait : « Les galériens ont bien meilleure mine que les paysans. » Aujourd’hui, il n’y a plus de galériens en France. Alphonse Humbert est revenu du bagne d’outre-mer pour s’établir garde-chiourme, et le sénateur Mercier, jusqu’à présent, est simplement forçat in partibus fidelium. Si les galériens manquent en France, il est juste de dire qu’on n’y trouve pas, non plus, de paysans. Ou, du moins, on en trouve si peu que ce n’est guère la peine d’en parler. Parcourez les campagnes ; elles sont presque désertes. On n’y rencontre guère, en dehors des propriétaires ter-