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VI


Des soldats français, isolément ou par petits groupes, arrivent constamment dans la ville. Éclopés, égarés, traînards, fuyards. Ils viennent on ne sait d’où, ils ne savent d’où ; de partout où l’on s’est battu, où l’on fut battu, où l’on a battu la charge, où l’on a battu en retraite ; où l’on a avancé, reculé, piétiné, lâché pied ; de partout où les arrêta l’ennemi, ou bien des blessures, ou bien la fatigue, ou bien le dégoût.

J’aurais voulu les voir ; malheureusement ma grand’mère me défend de sortir. Mais Lycopode les a vus. Il paraît que ces malheureux sont dans un état lamentable et que leur aspect fait frémir d’horreur et de pitié. Noirs de hâle, de poudre, de poussière et de boue, leurs uniformes en haillons, ils traînent le long des rues leurs pieds meurtris et sanglants, accusant tout haut leurs chefs de les avoir trahis et vendus, et disant qu’il n’y a plus de France. On les pousse, en dépit de leurs menaces, de leurs jurons et de leurs insultes, dans les trains qui partent pour Paris.

— Ah ! monsieur Jean, ce n’est pas les mêmes que nous avons vu partir ! C’est pas Dieu possible que ce soit les mêmes. C’est vraiment pas possible.

Et Lycopode me raconte, dix fois de suite, ce que lui