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à son retour ! Et il aurait certainement accompli des actions d’éclat, gagné des grades ; peut-être qu’il serait général, à l’heure qu’il est… Je lui écris une longue lettre, dans laquelle je le prie de me donner tous les détails possibles, lui promettant d’être bien sage pour la peine. J’hésite pendant longtemps à lui parler de ce que j’ai entendu chez M. Curmont ; peut-être pourrait-il le faire savoir à l’Empereur, et l’on mettrait en prison Albert, Léon et Petit-Gris. C’est ça qui serait rigolo ! Pourtant, je sais qu’il ne faut jamais rapporter. Et après avoir sucé très longtemps le manche de ma plume, je me détermine à ne rien dire. C’est juste à ce moment qu’entre Lycopode qui vient me prier de présenter ses compliments à mon père et de demander, incidemment, des nouvelles de Jean-Baptiste. Excellente idée ! Je pourrai ainsi terminer mes quatre pages. Moi qui oubliais Jean-Baptiste !…

Il y a encore bien d’autres personnes que j’oublie. Je m’en aperçois en pénétrant dans la chambre de ma grand’mère à laquelle je vais remettre ma lettre, et que je trouve occupée à écrire en allemand. Tout d’un coup, je me rappelle mon oncle Karl. C’est à mon oncle Karl qu’elle écrit.

— Oui, mon enfant ; je ne sais rien de ton oncle depuis le commencement de cette terrible guerre. C’est tellement affreux ! Penser que les hommes, que cependant Dieu a doués de raison, s’entre-déchirent comme des bêtes fauves ! Pourquoi ne vivent-ils pas tous en frères ? C’est tellement odieux et bête, ces haines de nation à nation ! Oh ! les gens qui entretiennent ces sentiments sauvages sont de bien grands misérables !

J’essaye de comprendre ma grand’mère, de penser comme elle, mais je ne peux pas ; je ne peux pas dire que j’aime la guerre, car je ne l’ai pas vue. Mais j’aime les récits que j’en ai entendu faire ; je ne connais rien de plus intéressant. Il y a peut-être des choses plus intéressantes,