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n’a pas à déchirer la cartouche, et c’est rudement commode pour des gens qui n’ont jamais pu regarder l’ennemi sans claquer des dents.

Nous aimions beaucoup le colonel Gabarrot ; il avait été l’ami intime de mon grand-père, le colonel Maubart ; après avoir fait les dernières guerres de la République et celles de l’Empire, jusqu’à Waterloo, ils n’avaient repris du service, ensemble, qu’en 1830, lorsque le drapeau tricolore remplaça le torchon blanc dans lequel les traîtres de l’Émigration avaient empaqueté leurs goupillons et leurs poignards, avant de quitter Coblentz. Il y avait bien un coq au lieu d’un aigle, à la hampe de ce drapeau-là ; et Gabarrot, pas plus que mon grand-père, n’aimait « les oiseaux qui se laissent manger ». Mais enfin, les couleurs y étaient ; et, sous ces couleurs, ils combattirent en Algérie pendant plusieurs années ; puis, mon grand-père étant mort, frappé d’une balle arabe, le colonel Gabarrot ne tarda pas à prendre sa retraite. Je le vois encore, très distinctement. Un grand vieillard, sec, et droit malgré ses quatre-vingt-neuf ans, avec un nez mince et courbé comme une lame de yatagan, une longue moustache blanche et pendante, et des yeux couleur de noisette. Oh ! oui, il raconte de belles histoires. Il sait toutes les guerres de Napoléon, toutes ses batailles et tous ses généraux, et beaucoup de choses encore, qui ne seront jamais écrites dans les livres, parce qu’il faudrait trop de place pour écrire tout ; peut-être aussi, parce qu’elles feraient trop peur aux femmes. Ma mère s’est effrayée, à plusieurs reprises, aux récits du colonel ; une fois, elle s’est évanouie. De sorte que l’on invite très rarement M. Gabarrot, à présent.

— Ses habitudes sont tellement extraordinaires ! dit ma mère. Il pourrait bien en faire le sacrifice lorsqu’il dîne hors de chez lui.

Mais le colonel ne veut faire aucun sacrifice ; il a sa