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doit pas en vouloir à un homme d’être un pékin, lorsqu’il a l’air intelligent et qu’il est infirme. Comme Me  Larbette vient souvent voir M. Curmont, à présent, je saisirai la première occasion de lui demander son opinion ; je lui demanderai, simplement, s’il pense que les armées vont être supprimées, et s’il croit que je n’aurai pas le temps de devenir officier.

L’occasion se présente. Une après-midi que je suis venu voir Adèle, Me  Larbette arrive, me dit bonjour en traversant le jardin, me tapote amicalement la joue, et entre dans la maison. Un moment après, Mme  Curmont appelle sa fille pour sa leçon de piano, et je reste seul dans le jardin. Je m’approche de la fenêtre du salon, dans lequel parlent le notaire et M. Curmont, et j’écoute. J’en suis presque pour mes frais d’espionnage. Il n’est question, dans la conversation entre les deux hommes, que de choses que je ne comprends pas. Ils ne parlent que de transactions à opérer, de valeurs à vendre ou à acheter, de propriétés à transférer, d’ordres à donner, de Bourse, et de la nécessité de se hâter, car les événements vont se précipiter. M. Curmont déclare qu’il ne faut rien oublier, car l’occasion qui va s’offrir est de celles qui ne se présentent pas deux fois. Me  Larbette, en ricanant, dit qu’il a tout prévu. Il dit qu’il est enchanté de son Ingénieur.

— L’Ingénieur va on ne peut mieux. En voilà un que j’ai couvé ! J’entretiens la smala depuis assez longtemps pour que ma philanthropie désintéressée me rapporte de jolis bénéfices. L’Ingénieur est le résultat le plus complet qu’ait jamais fourni l’École Polytechnique. Cet homme-là, c’est l’x incarnée ; pas d’opinions, pas de convictions, pas de cœur, pas de sentiments d’aucune sorte. Et intelligent avec ça ! Habile à se faufiler ; une souris !… Vous verrez… Il pioche la stratégie et la tactique, dans les meilleurs auteurs, à vous en faire venir les larmes aux