Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

figures de malfaiteurs. Ces deux-là me font presque peur. Ils se ressemblent tellement qu’on dirait deux frères.

— Ils le sont, me dit Adèle. Ils sont les frères de Me Larbette, le notaire de Preil qui vient souvent voir papa. Il les appelle les deux vauriens.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas. En tous cas, tous les gens qui sont là vont être au pouvoir avant peu, et ils donneront une belle place à Albert. Tu verras ça.

Je le verrai, peut-être ; mais, en attendant, je ne sais vraiment que croire. Je pense, au fond, que tous ces êtres-là sont fous. Comment peuvent-ils avoir l’idée de prendre la place de l’Empereur ? Comment peuvent-ils penser, comme je le leur ai entendu dire, que les armées vont être supprimées ? Est-ce que mon père ne le saurait pas, si c’était vrai !… Et pourtant, s’ils ont raison, je sens que toutes mes chances d’avenir doivent disparaître. Que pourrais-je faire dans l’existence, si je ne puis pas être officier ?

Ces questions graves me troublent énormément. Je voudrais bien savoir comment les résoudre ; mais j’ignore à qui faire part de mes inquiétudes. Ma grand’mère, je le sais, n’entend guère la politique. M. Freeman est Anglais et n’est certainement que très imparfaitement au courant des affaires de la France. Quant à M. Curmont, je sens qu’il manquerait d’impartialité. Ah ! si mon père était là, ou le général de Rahoul, ou le cousin Raubvogel, ou même Jean-Baptiste !…

Mais, il me vient une idée. J’ai souvent entendu parler de la haute intelligence et des grandes qualités de Me Larbette, le notaire de Preil ; je l’ai vu plusieurs fois ; c’est un petit homme, difforme, bossu, mais avec des yeux pleins de vivacité, et qui ne me déplaisent pas. Ce n’est qu’un officier ministériel, il est vrai ; donc, un officier avec une adjonction péjorative ; mais je sens qu’on ne