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grandement ma curiosité, et que je voudrais bien en voir. En quoi, d’ailleurs, je n’exagère pas.

M. Curmont est bien républicain ; mais il ne m’amuse pas, parce que, lorsqu’il a fini de lire les journaux, il se met à grogner et à maugréer sans interruption. Il dit que c’est honteux, abominable. Il y a deux cent mille fonctionnaires. « L’agence électorale de la tyrannie », dit-il. Ces fonctionnaires sont tous amis et parents des gens en place. « Le népotisme », dit-il. On ne sait pas où va l’argent des contribuables. « La corruption impériale », dit-il. Il assure qu’il y a des scandales financiers qu’un gouvernement césarien, seul, peut engendrer. « Jecker », dit-il. Il se moque aussi des Allemands qui bâtissent des systèmes. « La métaphysique », dit-il. Je me demande avec anxiété si tous les républicains sont pareils à M. Curmont, et si le grognement est leur caractéristique.

Mais tous les républicains ne sont pas comme M. Curmont. Son fils Albert, par exemple, ne lui ressemble pas du tout. D’abord, il n’a pas de barbe ; à peine trois ou quatre poils sous le nez ; il est presque complètement chauve. Il a un profil en lame de serpe, des dents gâtées ; des yeux verdâtres dont la prunelle tremblotte, comme baignée d’une viscosité jaune, entre des paupières en jambon. Les narines aussi se bordent de rouges, les oreilles se décollent et les épaules s’effacent. Ensuite, M. Albert Curmont est très gai. Il trouve l’univers, et tout ce qui s’y passe, très rigolo. Victor Noir a été tué : « C’est rigolboche ! » La candidature Hohenzellern va amener des complications : « C’est rien rigolo. » Quand la France aura été battue à plate couture, elle vomira l’Empire, et la République sera proclamée : « Chouette, papa ! » L’Empire a commencé dans le sang, il finira dans le sang : « Mince de rigolade ! » M. Albert Curmont a l’air très fatigué ; en fait, on dirait qu’il n’en peut plus.