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IV


Je me suis tellement habitué à la société des grandes personnes que je fréquente exclusivement depuis quelque temps, qu’il m’est devenu difficile de me plaire longtemps avec Adèle Curmont et d’apprécier le charme de sa compagnie. Adèle m’avait promis, l’hiver dernier, que nous nous amuserions bien, quand le printemps serait venu ; mais voici l’été, et les grandes parties qu’elle m’avait fait espérer sont restées à l’état de projet.

D’autres divertissements, très peu. Les enfants de ma classe, petits êtres froids à jeunesse momifiée, me déplaisent. J’aimerais mieux les autres, les fils des pauvres, les sales gosses. Mais je comprends que leur contact me compromettrait. Je n’ignore pas que ce sont mes inférieurs, que je suis naturellement destiné à les avoir plus tard sons mes ordres, avec droit de vie ou de mort sur leurs méprisables personnes. Je me suis donc habitué à vivre d’une façon plutôt solitaire, un peu méfiant, un peu sceptique, un peu fatigué des quelques années que j’ai déjà vécues, fatigué d’avance des années d’études indispensables qui m’attendent, et n’aspirant qu’au jour où, portant enfin l’épaulette, je pourrai faire dans la vie ma véritable entrée.

J’ai fait part à Adèle de ma conception de l’existence ;