Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beaucoup de choses. Et maintenant, en présence de notabilités de tout ordre, au son des instruments des musiques locales, les toiles qui masquaient le monument viennent de tomber. Sous les rayons d’un soleil aveuglant, le bronze apparaît dans toute son horreur. Vous connaissez la statue. C’est la même que les autres. On en a mis partout. Une grande question, j’ai oublié de vous le dire, s’était posée devant l’esprit patriotique du Comité qui prit l’initiative de l’érection du monument : représenterait-on mon père en uniforme de colonel, ou en uniforme de général ? On s’est décidé pour l’uniforme de général. Mon père, a fait valoir quelqu’un, non seulement avait été héros en 1870, mais depuis il avait continué. L’argument était sans réplique. Le sculpteur, homme de génie original, et qu’on va décorer, a osé représenter mon père tête nue. Voilà de la hardiesse ; tout le monde loue l’audace du sculpteur. En France, on aime l’audace…

La chaleur est étouffante. Pas d’air, pas un souffle de vent. Au loin, l’orage gronde….. Et la longue série des discours va commencer. Une grande lassitude s’est emparée de moi ; je ne me sens pas bien ; ah ! que je voudrais que tout cela fût terminé !….. Courbassol, ministre de la Justice, qui représente le gouvernement, prend la parole.

— Il y a moins de trente ans, dit-il, la terre sur laquelle s’élève le glorieux monument que nous inaugurons aujourd’hui, et qui est maintenant sillonnée par les soldats français, était occupée par les armées étrangères ; et quand nous comparons la France d’alors, désemparée, à bout de forces, à la nation vigoureuse qui revit sous nos yeux dans sa mâle vitalité, nous éprouvons une douce consolation et un légitime sentiment de fierté !

Courbassol, pourtant, déclare que cette fierté ne va pas jusqu’à l’enivrement. Si son patriotisme est ardent, il sait se contenir ; il grandit dans le silence ; il se recueille.