Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je reconnus de suite ce sergent pour l’avoir vu chez vous, à Paris et à Versailles, en qualité d’ordonnance. Il s’appelait… il s’appelait…

— Jean-Baptiste, dis-je. Et un flot de sang monte à mes joues ; et je sens quelque chose dans ma gorge, qui m’étrangle. Mon oncle demande :

— Qu’est-il devenu ?

— Je ne sais pas, dis-je tout bas, très bas ; je… je… je crois qu’il est mort.

— Ah !… Les blessés furent soignés immédiatement ; la balle que j’avais reçue dans le bras fut extraite ; la blessure, sans être fort grave, me mit dans l’impossibilité de continuer la campagne ; tu te rappelles que je revins à Versailles. Les prisonniers furent dirigés sur Orléans ; de là, sur l’Allemagne. Quant au colonel qui commandait les Français — j’ai entendu dire qu’un officier de mobiles, qui s’opposait à la capitulation, l’avait blessé de son sabre et avait été tué par lui d’un coup de revolver — quant à ce colonel que, bien entendu, je ne pus voir qu’après l’engagement…

— Oui, murmuré-je, j’ai compris.

— Comment les Français sont arrivés à transformer cette affaire de Nourhas en un glorieux fait d’armes, je l’ignore. L’origine des légendes est mystérieuse ; c’est sans doute pourquoi elles ont la vie dure ; et c’est sur la terre de France, surtout, qu’elle croissent et multiplient. Comme individus, vous êtes généralement clairvoyants et intelligents ; comme nation, vous vous refusez absolument à voir les choses telles qu’elles sont. Voilà pourquoi, courbés sous des jougs de plus en plus lourds et de plus en plus grotesques, vous parlez toujours de résister au monde… Quant à ton père dont, comme Allemand, il m’est impossible d’excuser l’acte, je crois que si j’étais Français je pourrais trouver beaucoup de raisons à sa décharge. Depuis Sedan, la guerre ne continuait que