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— Il a perdu toute connaissance, murmure mon père.

Je m’agenouille devant le lit, ému d’une émotion toute physique que je ne puis analyser, car il me semble que j’ai la tête vide. Et tout d’un coup, comme on me fait sortir de la chambre, le souvenir du colonel Gabarrot s’empare de moi ; il me hante, ne me quitte point, ni vers le soir, lorsqu’on annonce la mort de mon grand-père, ni le lendemain, pendant qu’on procède aux préparatifs des funérailles ; ni même le surlendemain matin, tandis que les employés des pompes funèbres viennent tendre de noir la porte de la maison.



Mon grand-père est mort le 7 mai, et c’est aujourd’hui, le 9, à midi, qu’on l’enterre. Hier, le 8 mai, a eu lieu le Plébiscite ; mais ce matin, naturellement, on n’en connaît pas encore le résultat. Mon père est venu un moment dans ma chambre pour jeter un coup d’œil sur les journaux ; mais il est interrompu dans sa lecture par l’arrivée des membres de la famille qu’il se hâte d’aller recevoir. Ils sont venus de loin, pour la plupart.

D’abord, M. Xavier Delanoix, un neveu de mes grands-parents, le fils d’Ernest Delanoix, frère cadet de ma grand’mère. C’est un homme de quarante ans, légèrement bedonnant, d’une taille au-dessus de la moyenne, avec des favoris qui inspirent confiance, et des petits yeux vrillonnants. Il est entrepositaire dans le nord de la France, non loin de la frontière belge, et présente l’aspect d’un homme qui fait de bonnes affaires. J’ai eu l’occasion de le voir déjà deux ou trois fois, à Paris. Mais il a amené avec lui sa fille, une jeune personne de dix-huit ans que je ne connais pas encore. C’est une jolie blonde, avec de grands yeux bleus et des dents pareilles à des perles ; dans ses vêtements de deuil, je ne sais pourquoi, elle me donne