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XXIII


J’ai passé les dernières semaines de 1896 et les premiers jours de 1897, à Sandkerque, de la façon la plus misérable. Je m’élance des profondeurs du découragement à d’excessifs désirs d’action, à de frénétiques besoins de manifestations violentes ; et le dégoût que j’éprouve pour moi-même, pour tout ce qui m’entoure, m’arrache brusquement l’énergie nécessaire à l’effort. J’ai renvoyé la Môme-Chichi à Paris, et le contact de mes semblables, leur vue, me sont devenus insupportables. J’erre, pendant des heures et des heures, au bord de la mer, dans les dunes, ruminant sans cesse le même désespoir, mâchant la même exaspération. Je suis condamné à une vie pour laquelle je ne suis point fait, à laquelle j’ai été destiné dès mon enfance, jeté dès que je devins un homme, et que je n’ai pas le courage d’abandonner.

À la mort de mon père, j’avais pris la résolution de quitter l’armée ; résolution bien faible, sans doute, puisque le premier prétexte m’a permis d’y renoncer. Et j’ai voulu essayer d’imiter mon père, de jouer, comme lui, un rôle dans une comédie ; et j’ai vu que j’étais aussi incapable de jouer un rôle que d’être purement et simplement moi-même… Incapable d’être moi-même ? Après tout, je ne sais pas ; il faudrait oser essayer. Et l’audace ne me serait