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déclare qu’elle a simplement voulu, en venant, me prouver qu’elle n’a aucun tort envers moi et qu’elle n’est pas ma dupe. Elle a été sa propre dupe, et trop longtemps ; elle a agi follement, misérablement, elle aussi. Elle ne savait pas. Aujourd’hui, elle comprend. Le mal qu’elle a fait, peut-être pourra-t-elle le réparer. Elle a écrit hier à son mari, qui est en Belgique, pour lui demander de lui pardonner et de venir la chercher. S’il veut la reprendre, elle sera à lui, honnêtement et complètement ; et elle conservera toujours l’amer regret de ses égarements, qui lui semblent déjà si loin d’elle, si loin qu’ils n’existent plus que comme de mauvais et sales rêves, des rêves de mensonge.

Encore, je ne réponds pas. Je suis étourdi par le choc de pensées contradictoires, confuses, dont je ne puis saisir que des fragments. Oui… non… oui… Ce sera le mieux pour elle. Et quant à moi… quant à moi… J’essaye de parler ; je bégaye des mots sans suite. Alors, Isabelle s’avance vers moi, les poings crispés, et s’écrie :

— Des rêves de mensonge ! Il n’y a que du mensonge, en toi et en tes pareils ! Tu es un lâche ! Tu es un traître ! Vous êtes tous des lâches et des traîtres ! Mon mari le disait, que rien n’existe pour vous, que vous n’avez ni cœur ni honneur, et que vous sacrifieriez tout, patrie comprise, à vos plaisirs et à vos besoins d’argent. Je ne voulais pas le croire ; et je l’ai détesté pour avoir dit ça. Mais maintenant, je vois bien qu’il avait raison. Je vois bien qu’on l’a torturé, persécuté, emprisonné, parce qu’il a dit la vérité. S’il veut encore de moi, de moi qui me suis salie à tes épaulettes, j’irai vivre à l’étranger, avec lui ; et je n’aurai plus de patrie, comme lui !…

Elle saisit son manteau, s’en enveloppe, s’élance hors de la chambre, sort de l’appartement, descend l’escalier. Et je reste là, cloué sur place par ses paroles, échos de tant de pensées qui, de plus en plus fort, grondent en moi.