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Mon ordonnance est un garçon dégourdi. Tout est relatif, bien entendu ; il se figure, ainsi que beaucoup de Français, que Napoléon III a succédé à Napoléon Ier, qu’en 1870 c’est contre les Russes que la France a fait la guerre, et que l’Alliance récemment conclue est un pacte d’oubli de nos désastres. Mais, malgré tout, c’est un matois. La preuve, c’est que ce soir vers neuf heures, juste comme je reviens avec la Môme-Chichi de la ville, où nous avons dîné, je le trouve qui guette mon passage auprès du pont-levis ; il se précipite vers moi dès qu’il m’aperçoit et m’annonce qu’une dame est venue, il y a une heure environ, me demander. Il n’a pu faire autrement que de la laisser s’installer chez moi, où elle m’attend ; mais il a cru bien faire en venant au-devant de moi, pour m’avertir. Pour sûr, qu’il a bien fait ! Je lui glisse une pièce ; je renvoie la Môme-Chichi dans ses foyers par la voie la plus rapide, avec ordre d’attendre patiemment mes instructions ; et je rentre chez moi au plus vite.

Un vent froid souffle en tempête, ridant les eaux du fossé-canal qui ceinture la ville, soulevant de temps en temps le sable des dunes ; sifflant à travers les branches dénudées des arbres plantés sur les glacis ; la nuit est noire, noire ; je suis à peine sorti de la ville, que je ne puis voir, en me retournant, l’énorme masse des fortifications que semblent avoir dévorée les nuages. Je pense, tout en marchant. Pourquoi Isabelle est-elle venue ? Pourquoi ?… Car c’est Isabelle qui m’attend, sûrement… Et que vais-je lui dire ?… Je ne puis me décider à rien ; je me fie complètement au hasard. C’est le mieux… J’arrive chez moi.

Isabelle est assise au coin de la cheminée, et se lève à