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sions honorables ; la beauté de la vertu nous condamnant, hélas ! à la laideur du vice… Mon lieutenant m’a fait le portrait de la petite femme et m’a dit que, s’il était à ma place, il la chaufferait. (Lui, il ne peut pas ; il est collé.) Mais je ne veux pas chauffer la petite femme ; je ne veux même pas aller au café Franco-Russe, où on peut la voir, tous les soirs, avec son amant.

Avant-hier, pourtant, sur la Grand’Place, je me suis trouvé tout à coup en sa présence. Je l’ai reconnue tout de suite à la description qu’on m’en avait faite. Et j’ai été très pris, immédiatement empoigné. Le coup de foudre. Une poupée de Montmartre ; très noire ; du faux Orient ; des yeux riants, bruyants ; des dents d’un bel orient. Un profond petit animal. Des idées confuses se pressent, se bousculent : me venger de ma relégation ici ; happer de la chair parisienne, souvenir qui passe ; affirmer ma volonté, mon pouvoir. J’aborde la petite femme, lui parle. Elle répond — ce qu’elle répond ; — sourit et sourit ; un œil dit non, un œil dit oui. L’effet produit est inouï. (Toujours le même.) Presque immédiatement après l’avoir quittée, je rencontre Fermaille ; il doit m’avoir vu, affecte de ne pas me saluer ; je lui fais répéter le salut. Le soir, je vais au café Franco-Russe ; la Môme-Chichi y est, très sérieuse cette fois ; Fermaille aussi, qui me regarde de travers. Nous allons voir ça.

Hier, sous un prétexte, j’ai retiré à Fermaille la permission de coucher en ville.

Lui a-t-on dit que je me suis promené longtemps hier soir avec sa maîtresse ? Peut-être. En tout cas, à la revue d’armes aujourd’hui, il répond insolemment à une observation que je lui fais. Comme je lui porte une punition, il me lance à la tête un ceinturon qui ne m’atteint pas. Il est immédiatement arrêté ; en prévention de Conseil de guerre.

Là-dessus, penserez-vous, la Môme-Chichi me ferme