noire, que ne percent pas les rayons blafards d’une instruction hâtive ; point de sens moral, car, pour les cerveaux spongieux, dès que le crime cesse d’être le péché, il n’existe plus ; et une sensibilité extrême, douloureuse un peu, qui n’est pas la bonté, mais le rappel intérieur et pénible, l’évocation amèrement égoïste de souffrances rêvées. Mme Plantain croit à l’idéal, sourit à des futurs couronnés de promesses ; des romances lui pourrissent dans le cœur. Ce genre de femme n’est pas mon fait ; je suis encore trop jeune, ou plus assez. Mais pour un vieux, ce serait le rêve. Mon père s’y connaissait, tout de même.
Mme Plantain déplore la mort de mon père ; elle avait grande confiance en lui ; la preuve, c’est qu’elle est venue habiter Nortes. Mais comment retourner à Paris, où le bruit fait autour du nom de son mari a rendu sa position, à elle, si difficile ? D’autre part, rester à Nortes… Est-ce que je ne pense pas que sa situation est un peu fausse ? Peut-être. Et ne pourrais-je pas donner quelques conseils à l’amie de mon père ? Mais si. Et d’autant plus désintéressés que je suis décidé, malgré le charme de la jeune femme, à ne point naviguer dans les eaux paternelles. « Non, non, me dis-je chaque jour, je ne serai jamais autre chose que l’ami d’Isabelle ; ce sera plus original ; ça sentira moins le roman. » Mais la nuit vient ; et, ma foi…
Je ne me dissimule pas qu’une liaison entre Isabelle et moi nous placerait tous deux dans une situation particulière, peu compatible avec les préceptes de la morale courante. Mais un officier n’a rien à faire avec la morale courante. Son guide n’est pas la morale courante, mais l’honneur militaire. Et des manifestations passionnelles peuvent-elles porter atteinte à l’honneur militaire ? En conscience, je ne le crois pas. D’ailleurs, toute discussion sur ce point serait oiseuse ; ce n’est pas là qu’est