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si tu savais comme c’est fatigant, surtout au commencement ! Toujours les doigts sur les touches… Je n’ai jamais eu le temps de m’amuser beaucoup. Mais nous jouerons à toutes sortes de choses ensemble, n’est-ce pas ? lorsqu’il fera beau temps, lorsque le printemps sera venu.



Le printemps est venu. Les feuilles commencent à crever l’enveloppe des bourgeons, et si les fleurs ne se montrent pas encore en pleine terre, il y en a déjà de jolies dans la serre, au bout du jardin. Mon père en a fait faire plusieurs fois des bouquets, qu’il a envoyés à la maréchale Bazaine.

J’ai vu souvent la maréchale passer en voiture ; c’est une bien belle femme. M. Curmont raconte d’horribles histoires sur son compte, affirme que le maréchal a fait au Mexique massacrer toute la famille de sa femme. Mais je ne crois pas un mot de tout cela. Comment un maréchal de France pourrait-il être coupable de tels actes ?

Pourtant, dernièrement j’ai assisté à une scène curieuse. Comme je passais dans la rue de Clagny, j’ai vu un rassemblement devant la propriété du maréchal. La grille était ouverte et, dans le jardin, devant la maison, se tenait un monsieur bien vêtu, au teint basané et à la moustache noire, qui criait à tue-tête :

— Voleur ! Canaille ! Traître ! Assassin !

Et il tendait son poing crispé vers quelqu’un qui devait se trouver dans la maison, derrière les volets d’une fenêtre. Le garde de Clagny, qu’on avait été chercher, est accouru, son sabre au côté. Il a mis la main sur l’épaule du monsieur, qui s’est décidé à le suivre après une dernière bordée d’injures et s’est dirigé, accompagné par le garde, vers la station du chemin de fer. On disait dans la foule que c’était un parent de la maréchale qui était venu lui