Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gard chargé de haine, baisse la tête et reprend, d’une voix qui siffle entre ses dents :

— Vous êtes libre. Souvenez-vous seulement que la situation privilégiée à laquelle je faisais allusion tout à l’heure ne sera pas toujours la vôtre ; votre poste à l’État-Major peut vous être enlevé d’un moment à l’autre ; votre père, qui n’est plus jeune, peut vous manquer aussi. Et alors… Et alors, murmure le général au bout d’un instant, des langues se délieront peut-être et diront des choses que, jusqu’à présent, on n’a pas dites : des choses qui ternissent à jamais une mémoire. Notre époque aussi poursuit l’iniquité des pères sur les enfants…

Très surpris, plus que surpris, j’invite le général à s’expliquer. Il refuse. J’insiste. Il me donne l’ordre de me retirer.

J’éprouve, en quittant le cabinet du général, des sensations étranges : gêne violente, colère, inquiétude ; un mystérieux et menaçant inconnu m’enserre, plane sur moi. Que faire ? Écrire à mon père ? Et lui rapporter… Non ; ne pas lui écrire, aller lui parler. Je rentre chez moi au plus vite. Mon ordonnance, qui m’attend, me remet un télégramme daté de Nortes ; mon père, qui est au plus mal, me demande en toute hâte. Je quitte Paris par le premier train.



Je n’ai jamais essayé de vous faire prendre mon père comme le type de l’amour paternel, ni de me présenter à vous comme un modèle de piété filiale. Cependant, il est certain que nous avons toujours éprouvé l’un pour l’autre, mon père et moi, une affection moyenne. Nous ne sommes ni d’aveugles enthousiastes, ni d’orgueilleux imbéciles ; nous allons, par conséquent, rarement aux extrêmes ; et les sentiments que nous éprouvons ne nous étreignent