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Estelle ! C’est Estelle ! Elle est là, là, à la porte de ma chambre. Là, enveloppée d’un grand cache-poussière, coiffée d’une toque sans voilette… Non, pas à la porte de ma chambre, mais plus près, beaucoup plus près, près de moi. Non pas enveloppée d’un manteau et coiffée d’une toque ; la toque s’est envolée sur une table, le cache-poussière est tombé sur un fauteuil et il disparaît sous un jupon, sous deux jupons. Non pas près de moi, mais très près, très près ; très près, avec sa magnifique toison fauve éparse sur les oreillers, avec des baisers et des frissons, et des sanglots — et des sanglots…

Elle m’aime, elle m’aime, elle m’aime ! Ah ! qu’elle m’aime ! Elle m’aime surtout à cause de mes mérites moraux, de ma générosité, de mes grandes qualités de cœur. Elle me dit tout ça à travers ses larmes. Elle est bien, bien malheureuse ; elle est seule au monde ; elle n’a que moi ; elle n’a confiance qu’en moi ; elle n’a de ressource qu’en moi… Ça, c’est vrai. Tout dépend de moi ; si je m’obstine à conserver l’héritage… Mais ma force de résistance est mise à une bien rude épreuve. Il y a un proverbe qui dit que tout est loyal en amour et en guerre. Je ne sais pas trop si c’est ici une question d’amour ou de guerre, mais il est certain que l’attaque d’Estelle a été aussi perfide que hardie, et qu’il y a peu de chances pour que l’avantage me reste. C’est d’autant plus triste que les illusions que j’ai pu avoir un instant s’envolent à tire-d’aile, et que je sens de plus en plus vivement qu’on n’en veut qu’à ma bourse. Allons, il n’y a qu’à me résigner…

Je me résigne. Je laisse Estelle gagner son procès. Elle a été déshéritée par son père, mais je lui promets de la remettre en jouissance. Un bon procédé en vaut un autre.

Je tiens ma parole (ou peu s’en faut). Je vais, accompagné d’Estelle, faire plusieurs visites à Me Lerequin. Il y a beaucoup d’avoués à Paris, mais Me Lerequin est le