Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reconnaître pour sa fille l’enfant de la Saltazzi. Il consentit. Et le général tint ses promesses. La première des conditions imposées par la danseuse est donc remplie ; il reste à exécuter la seconde. Comme on ne veut pas, une fois de plus, se contenter du premier venu, la chose est assez malaisée. Cependant, il faudra se hâter, car le général de Lahaye-Marmenteau est fort pressé d’argent.

— Voilà, dit Gédéon Schurke en terminant. Monsieur votre père aurait pu vous mettre au courant des faits, l’autre jour, tout aussi bien que moi. Mais il était très pressé ; il avait Mme Plantain à enlever…

Mme Plantain ! m’écrié-je, la femme de l’inventeur ?

— Elle-même, répond Schurke. Son mari a quitté la France depuis qu’il est sorti de prison, mais elle habitait toujours à Paris ; le général Maubart lui faisait la cour depuis déjà longtemps ; il a réussi à l’emmener à Nortes ; peut-être, après tout, en tout bien tout honneur.

— C’est vraiment curieux, dis-je. Mais que vous savez de choses, Schurke ! Que vous en savez !…

— J’en sais trop, ricane Schurke, beaucoup trop. J’en sais tellement que j’en suis las, fourbu, exténué. Et voulez-vous que je vous dise ? C’est toujours la même chose. Il n’y a que des dupes partout ; même ceux qui tendent les pièges sont des dupes. C’est ridicule, lamentable, et tuant. Pour moi, j’en ai par-dessus la tête. Un de ces jours… Vous êtes-vous demandé quelquefois ce que c’est qu’un traître ? Et avez-vous pensé qu’un homme puisse trahir sans aucune raison, sans aucun intérêt, machinalement, pour ainsi dire, et sous la pression réactive d’un invincible dégoût ? Pensez-y.

J’y songerai, si j’ai le temps. Mais j’ai justement dans ma poche un billet d’Estelle qui m’accorde un rendez-vous pour après-demain, et je ne veux penser à rien d’autre.