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financiers, des brasseurs d’affaires, d’honnêtes gens qui suivent l’exemple donné par leur gouvernement et qui viennent échanger leur papier contre de l’or français. Raubvogel aide ces bienfaiteurs de la France à écouler leur excellent papier, et Mme Raubvogel les met à même d’apprécier, sous toutes ses faces, le charme de l’existence fin-de-siècle. Je dois dire que, à force de se frotter à des notabilités de l’armée, de la finance et de la politique, Estelle a acquis des connaissances plus que superficielles sur des sujets qui restent, d’ordinaire, fermés aux femmes. Ainsi, elle savait que nous ne possédions à l’État-Major que des renseignements fort incomplets sur les côtes de la mer du Nord et de la Baltique ; un général russe l’avait mise au courant du fait, et son patriotisme s’alarmait. J’ai rassuré Estelle ; je lui ai appris, confidentiellement, que deux officiers, le capitaine de Rouy et un autre, venaient justement de partir sur un yacht, en touristes, pour inspecter les côtes en question.

Pour mon compte, je ne crois guère aux résultats de l’espionnage ; pas plus, d’ailleurs, que je ne crois à l’efficacité d’une alliance avec la Russie. Nous n’y voyons pas plus clair depuis que les Russes mangent la chandelle par les deux bouts ; le caractère français s’est seulement transformé d’une façon curieuse : il s’est englué de solennité. Mais la presse à la solde du pouvoir chante l’alliance russe (tout en crevant d’envie de débiner la Russie, par lassitude de la louange). Des journalistes écrivent ceci : « Le Czar jette sa cavalerie sur l’Est allemand. Des chevaux comme nous n’en avons jamais vus en France, qui s’agenouillent, se couchent et se relèvent au plus léger sifflement de leur maître ; les voilà en Allemagne, et ils coupent les fils télégraphiques, et ils font sauter les ponts et ils minent les voies ferrées »… « Les fantassins russes ont des grappins de fer pour monter sur les branches des arbres et les maisons »… « La France avait vécu long-