tacher aucune importance à mes déclarations. Mais peu à peu je suis arrivé à la convaincre de la réalité de mes sentiments et aussi de leur ardeur. Je crois qu’Estelle, si elle avait le temps, me prouverait qu’elle n’est point insensible. Mais elle n’a pas le temps. Les Russes l’accaparent ; ils lui prennent tous ses instants. On ne se figure pas comme ces Slaves sont exigeants. « Grattez le Russe, a-t-on dit, et vous trouverez le Tartare. » Mme Raubvogel, qui a mis le dicton à l’épreuve, assure qu’il n’exagère point. Cependant, le devoir avant tout.
Le Devoir est une chose avec laquelle on ne plaisante point, chez les époux Raubvogel. Le devoir patriotique surtout. Raubvogel est de longue date affilié à toutes les sociétés revanchardes ; il figure dans toutes les démonstrations patriotiques à côté de sa femme qui, aux yeux de tous les Parisiens, représente l’Alsace ; il n’a cessé de proposer les motions les plus violentes contre l’Allemagne. Un jour, il déclare qu’on devrait trouver moyen de communiquer le phylloxera aux vignes de l’Ennemie, des maladies à son blé et à ses pommes de terre ; un autre jour, il lance l’anathème contre les gens qui se désaltèrent avec de la bière de Munich ou qui ronflent comme des toupies d’Allemagne ; ces gens-là, dit-il, ne sont pas des patriotes. Il demande qu’on élève, sur la place de la Concorde, une statue à Metz ; il réclame une décoration spéciale pour tous les combattants de 1870-71. Des multitudes approuvent ces propositions ; la presse les appuie ; on admire généralement le beau zèle français de M. Raubvogel.
Toute peine mérite salaire. Et qui est-ce qui est récompensé de son dévouement à la patrie dès que l’alliance franco-russe est conclue ? C’est le cousin Raubvogel. (D’autres aussi, mais n’en parlons pas.) Les Moscovites affluent chez le cousin ; non pas précisément de hauts personnages, mais de gros personnages tout de même, des