Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il sort, rouge comme la veste d’un horse-guard, mâchant des jurons anglais ; et je reste seul avec mon grand-père, un peu contrarié de voir sa partie d’échecs interrompue.

— M. Freeman est le meilleur des hommes, dit-il au bout d’un instant, mais il est un peu vif. Il est plus Français que la France et plus bonapartiste que Napoléon. La France et Napoléon sont ses deux idoles. Ces Anglais sont vraiment bien curieux. Du reste, il avait complètement raison. Ce livre est un très mauvais livre, et il ne faut pas que tu le lises.

C’est aussi l’avis de M. Curmont, un autre voisin qui vient d’entrer et qui propose à mon grand-père de remplacer sa partie d’échecs par une partie de piquet. M. Curmont, que je vois pour la première fois, me semble peu sympathique ; sa démarche est hésitante, sinueuse ; ses épaules ont l’air inquiètes et ses derrières mal assurés ; il semble redouter une attaque de flanc, et exécute, avant de prendre place sur la chaise que vient de quitter M. Freeman, un mouvement tournant des plus compliqués. Ses grosses lèvres remuent d’une façon singulière quand il parle ; mais c’est pour la frime, car je vois très bien que c’est avec son nez qu’il s’exprime ; il prononce les voyelles avec la narine gauche et les consonnes avec la narine droite.

Ses yeux humides, des yeux qui semblent avoir fait naufrage, paraissent curieux de ce qui se passe derrière les oreilles en colimaçon ; et le front, qu’envahissent des cheveux vainement refoulés en arrière, retombe sur ces yeux-là comme la visière d’un casque. Je ne parle pas du menton ; on n’en voit point ; une longue barbe, une de ces horribles barbes que j’ai su depuis être des barbes à principes, semble avoir pour mission de dissimuler la hideur de la mâchoire.

Si je n’ai pas, jusqu’ici, vu M. Curmont, j’ai entendu parler