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est intitulé : Les théories anarchistes dans l’Armée. — Un officier félon. Cet article reproduit la conversation que j’ai eue hier avec M. Curmont. On ne me nomme pas ; mais je suis indirectement désigné de la façon la plus claire. L’auteur de l’article anonyme a placé dans ma bouche beaucoup de phrases subversives que je n’ai point prononcées. Ces enjolivements ne sont certainement pas involontaires. On me fait dire, par exemple, que la présence d’une très forte partie de nos troupes aux colonies compromet la défense du territoire national ; que l’infériorité militaire de la France est déjà trop marquée ; que les cadres supérieurs de notre armée sont encombrés de nullités avérées, incapables d’organiser autre chose qu’une nouvelle débâcle ; que la France, avant d’aller civiliser les nègres et les jaunes, ferait bien de se civiliser elle-même et de se débarrasser de ses honteuses superstitions romaines ; et qu’elle ferait bien, aussi, au lieu d’aller rétablir l’esclavage au delà des mers, de fonder chez elle cette liberté et cette fraternité dont les Français parlent toujours et qu’ils ne connaissent point. Ce sont là des choses que je puis penser, que je pense probablement ; mais, enfin, je ne les ai pas dites.

Je ne me dissimule pas, néanmoins, que cet article peut me causer un préjudice énorme. Curmont n’était évidemment qu’un instrument ; mais l’instrument de qui ? Je ne pense pas que Dreikralle ait aucun intérêt à me nuire. Alors ?… Mon père sera peut-être plus habile que moi à déchiffrer l’énigme.

Je cours au ministère, où je le trouve dans son bureau, le numéro de la Nation Française déplié devant lui.

— Eh ! bien, s’écrie-t-il, tu ne vas pas mal. Tu ne m’avais pas dit que tu allais te lancer dans la politique et poser ta candidature de socialiste irréductible. Mes compliments. À qui donc as-tu fait tes confidences ?