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vent ; bon gîte, quelquefois ; mais le reste, non. Ce serait peut-être possible, mais ce serait sans doute long ; et, généralement, le jeu ne vaut guère la chandelle que tient le mari, entre ses comptes. Quelques dames, dans la ville, plus ou moins boutiquières, et coiffées à la dernière mode des Bersaglieri. Farouches, farouches. C’est avec peine que j’ai pu découvrir une bourgeoise veuve, travaillée par l’âge critique dans un mobilier moral. Je m’en contente. Le sage sait se contenter de peu.

Voilà une chose que n’ignorent pas les ouvriers, mâles et femelles, ilotes de l’usine. Ils sentent que le peu, le très peu qui leur est accordé, doit leur suffire ; leur résignation est vraiment chrétienne. Ils semblent comprendre que leur vie ne leur appartient que parce qu’elle est utile à leurs maîtres. C’est là un sentiment purement humain, et qu’on ne trouve ni chez les vaches, ni chez les cochons, ni chez aucun des bons animaux qu’on mange.

Mon parent, M. Delanoix, sénateur du Nord, et qui a des intérêts dans plusieurs des filatures du pays, a fait deux voyages à Navesnes. Chaque fois, des réunions ont été organisées, où il a pris la parole. Delanoix sait parler aux ouvriers ; il leur parle de ses débuts, qui ont été laborieux et pénibles ; de l’honnêteté, sans laquelle on n’arrive à rien ; de l’ordre et de l’économie, qui mènent à tout ; du travail, qui est la liberté ; du gouvernement, qui veille paternellement sur la classe ouvrière. Enfin, il sait leur parler. Il leur dit de se méfier des meneurs, et leur prêche la modération. Vous avez faim ? Soyez modéré. Votre femme grelotte sous des haillons ? Soyez modéré. Vos enfants, rongés par la maladie, n’ont ni remèdes, ni nourriture ? Soyez modéré. La misère vous étrangle et vous dépèce ? Soyez modéré. Vous crevez ? Modérez-vous. Ne crevez, mon ami, qu’avec la plus extrême modération.

Quelquefois, devant les faces hâves des esclaves qui