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ni comment il conçut un attachement de plus en plus vif pour Mlle  Marthe Delanoix, dont les bons soins contribuèrent puissamment à sa rapide guérison ; ni comment, dégoûté de la guerre par les horribles scènes dont il avait été témoin, il prit le parti de quitter l’armée et épousa peu de temps après la sœur de son ami défunt. Mes grands-parents, après avoir longtemps vécu à Karlsruhe, vinrent habiter la France ; ils eurent deux enfants : un fils, Karl, né en 1825, qui est officier dans l’armée prussienne et que j’ai vu rarement ; et une fille, Cécile-Augusta, née en 1830, qui épousa mon père, et qui mourut récemment.



Mon père, le voici justement qui arrive. Je le vois descendre d’une voiture qui s’arrête devant la grille, tandis que Jean-Baptiste, qui était assis à côté du cocher, en lapin, suit à distance respectueuse avec un gros paquet sous le bras. Je sais ce que contient le paquet : des cadeaux. C’est demain Noël ; et en nous réveillant, c’est au coin de la cheminée que nous allons voir ce que nous allons voir. En attendant, je suis rudement content de voir mon père ; ça manquait d’uniformes dans la maison. Rien comme les uniformes pour égayer l’existence. Mon père, certes, n’est pas joyeux outre mesure ; il est en deuil, et il n’oublie pas qu’il a un crêpe à sa manche ; mais il est amusant tout de même et parvient de temps en temps à faire sourire mes grands-parents.

— Sacrédié ! grand’maman, qu’est-ce que vous lui donnez donc à manger, à ce galopin-là ? Il a encore grandi de deux pouces depuis la semaine dernière ! Il faut le mettre à la demi-portion, vous savez ; autrement, on le flanquerait dans les grenadiers, et je ne l’aurais pas sous mes ordres !… Arrive ici, toi, garnement, que je te regarde.