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affublés d’habits militaires, mais d’allure peu martiale, l’encombrent. L’armée belge, garde civique comprise, est en liesse ; j’ignore pourquoi. Ce ne sont que chapeaux brodés, panaches, kaulbachs et casques ; des sabres et des épées d’une longueur inouïe ; des médailles pareilles à des fonds de casseroles ; des aiguillettes comme des cordes à puits ; des galons dont un collet étoilé arrête à grand’peine la marche ascendante et tortueuse ; des épaulettes semblables à des cacolets ; des plumets qui balaient la nue. Il y a tant de dorures qu’on ne voit guère les hommes, et j’éprouve une grande difficulté à évoluer parmi tous ces guerriers. Décidément, ils ont pris d’assaut toutes les chaises.

Pas toutes. Il y en a encore une, là-bas, tout au fond, devant une table à laquelle est assis un pékin qui lit un journal. Je vais lui demander la permission de prendre place en face de lui. Et je découvre tout à coup — réellement, ces choses-là n’arrivent qu’à moi ! — que je connais ce pékin. C’est M. Issacar ; M. Issacar qui se déclare, ma foi, enchanté de me rencontrer. Après quelques plaisanteries faciles sur l’armée belge, M. Issacar m’apprend pourquoi il se trouve à Bruxelles : une petite surveillance exercée sur l’entourage du général Boulanger. J’ai un léger mouvement de recul, mais M. Issacar fait semblant de ne pas s’en apercevoir.

— C’est là, dit-il d’un ton dégagé, une de ces missions qu’on est forcé d’accepter lorsqu’on a quelque ambition. Je voudrais me faire une petite situation ; et, comme je n’ai personne pour m’aider, je m’aide moi-même, afin que le ciel me vienne en aide. Il y a l’honnêteté dans les buts et l’honnêteté dans les moyens ; elles vont rarement ensemble, malheureusement ; le mieux est d’en prendre son parti. Pour moi, je place l’honnêteté dans mon but ; je ne dis pas : l’honneur, bien entendu ; il appartient à l’armée. Du reste, il ne faut pas être trop