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gardien-chef, a été rejoint au dehors par un autre ecclésiastique, l’abbé Lamargelle ; ils sont montés tous deux dans une voiture qui les attendait et qui est partie dans la direction d’une gare voisine. Labourgnolle a essayé de faire parler le gardien-chef, qui s’est drapé dans sa dignité et est resté muet. Mais Labourgnolle avait eu le temps de reconnaître le prêtre au passage, en dépit des précautions prises. Et il est sûr, complètement sûr, que ce prêtre n’était autre que le notaire Hardouin.

Moi aussi, j’en suis sûr ; plus sûr encore que Labourgnolle. D’autant plus certain que Courbassol est, depuis quelque temps, ministre de la justice. Oui, c’est Hardouin que le gardien-chef de Saint-Orme aidait à s’évader ; ce gardien-chef qui prétend ne connaître que le devoir et la consigne, qui est si horriblement dur pour les prisonniers, qui se vante d’être inflexible… La brute ! Il y a deux mois environ, comme je commandais la garde à Saint-Orme, il vint durant la nuit, avec des chaussons caoutchoutés et une lanterne sourde, prendre le fusil d’un de mes hommes qui sommeillait en faction. Malgré toutes mes objurgations, il fit son rapport, assurant faussement que le soldat dormait à poings fermés. Et le soldat passa devant le conseil de guerre, et fut sévèrement condamné.

Je ne puis penser au crapuleux gardien-chef sans me rappeler, par une association d’idées assez naturelle, ce que m’a dit l’abbé Lamargelle : les gouvernements, anxieux d’enlever aux peuples, avant qu’ils aient appris à en faire un outil d’émancipation, la force militaire qu’on tremble de voir en leurs mains. Je songe alors au cri des soldats, de garde dans les chemins de ronde : Sentinelles, prenez garde à vous !…

Et cette pensée me revient souvent pendant les mois que je passe encore à Malenvers, m’ennuyant, ennuyé, ennuyant les autres.