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d’une tentative de réalisation me terrifie : la crainte de l’effort à faire, d’abord ; mais aussi l’horreur de toute rébellion, inculquée par plusieurs années d’existence passive. J’arrive à me persuader à moi même que toute entreprise est vouée à l’avortement ; qu’Adèle me trahirait….. Je vais la prier, le lendemain, de ne pas compter sur moi. Je parle de devoir, de principes, d’honneur militaire… Elle m’écoute sans un mot, une flamme de colère dans les yeux, une moue de dégoût sur les lèvres.

Rentré chez moi, je suis saisi d’une grande fièvre d’action. « Soyons homme ! » me dis-je. Je pense à arriver aux plus hauts grades à la force du poignet ; à travailler d’arrache-pied ; à me faire recevoir à l’École de Guerre. La nullité vaniteuse de quelques capitaines brevetés que j’eus l’occasion de coudoyer, et que je me rappelle, me fait renoncer à ce projet sitôt ébauché ; du moins, c’est un prétexte que je me donne. Et puis, est-ce que mon père a jamais eu besoin de tant étudier, pour décrocher les trois étoiles ? Je ferai comme lui. Du moment qu’on porte une épaulette….. Là-dessus, j’éprouve le besoin de converser quelque peu avec Mme  de Rahoul.

— Figurez-vous, madame, lui dis-je, qu’on m’a proposé de donner ma démission et de me lancer dans la politique.

— Seigneur ! s’écrie-t-elle. Donner votre démission ! Mais à quoi pense-t-on ? Abandonner la carrière militaire ! Renoncer à l’épaulette ! Quelle folie ! Voyez-vous, mon cher enfant, il n’y a que les gens qui appartiennent, qui ont appartenu à l’armée, qui sachent la comprendre et l’apprécier….. !

La bonne dame parle, parle ; elle dit que la profession militaire est la plus belle de toutes ; elle dit que le désintéressement, l’héroïsme ne se trouvent intacts que sous l’uniforme ; elle dit des choses qui heurtent mon esprit et