Après tout, si je demandais la main de Mlle Pilastre ? La vie serait agréable, facile….. Trop facile, trop réglée d’avance, trop monotone. Il convient de laisser place à du pittoresque, à de l’inattendu. Des sentimentalités accourent, pour boucher les trous du raisonnement avec le carton-pâte de leurs truismes, avec leurs loques de souvenirs. Je me rappelle le mariage de ma mère, mariage d’argent, si malheureux ; je me rappelle la recommandation de ma grand’mère : n’épouser qu’une femme que je serai sûr de rendre heureuse….. Cependant, si j’écrivais à mon père pour lui demander conseil ? Il se moquerait de moi. Si j’écrivais à Gédéon Schurke pour le prier de m’éclairer au sujet des rumeurs dont Adèle m’a parlé ? Je commence une lettre ; ne l’achève point. Je me décide, avec toute l’inflexible détermination des irrésolus fatigués, à ne pas épouser Mlle Pilastre. J’en donne l’assurance, le soir même, à l’abbé Lamargelle, qui ne me croit point ; qui ne croit pas à mon désir de repos, ou plutôt d’inaction ; qui me prend pour un profond ambitieux ; qui me soupçonne de vastes desseins ; que je laisse très intrigué, pensif. J’en informe la comtesse de Movéans, à laquelle je déclare que je ne puis songer au mariage avant d’avoir reçu les épaulettes de capitaine. La comtesse semble désolée. Quelques heures plus tard, Mlle de Lahaye-Marmenteau et sa filleule partent pour Paris.
Ce départ me soulage. Enfin, voilà quelque chose de fait. Maintenant, au tour d’Adèle ; ses propositions….. Je me remémore ces propositions dans leurs moindres détails, je les analyse, je les critique. Au fond, elles ordonnent systématiquement beaucoup de conceptions, d’idées, d’opinions, de projets qui se profilèrent déjà, plus ou moins fantomatiques, devant mon esprit. Des choses possibles, certes ; mais dont l’ombre m’épouvante ; auxquelles je n’ose penser que quelquefois, à la sourdine ; auxquelles je me défends de penser. L’idée seule