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de sottises, glaires d’humanité, toute la France dirigeante contemporaine.

— Et il faut trouver un homme là-dedans ! s’écrie-t-elle. Il faut, car une femme ne peut agir seule, en ce beau pays de France. Et je veux agir, moi… J’en ai trouvé un — la moitié d’un, le quart, le vingtième. — Ce n’est pas le plus vil, mais c’est un des moins nuls. Il m’offre sa main. J’hésite. C’est un être qui ne saura jamais résister à l’appât d’une poignée de gros sous ; il se noiera, un jour ou l’autre, dans une cuvette de fange. Et je resterai là, avec un nom déshonoré qui m’imposera l’honnêteté la plus scrupuleuse ; et il faudra que je devienne, pour vivre, rédactrice d’un journal de modes… J’aimerais mieux autre chose. J’aimerais mieux toi.

Je sursaute. Moi ! Parce que je serais plus malléable que les autres dans ses mains, sans doute. Ou n’est-ce qu’un piège qu’elle me tend ? La haine de la femme supérieure commence à me saisir ; la peur haineuse de la femme exempte de cette faiblesse, sentimentale et nourrie de vieux rêves, qui rend ses sœurs si vulnérables. Adèle se rapproche de moi et reprend :

— Il y a de grandes choses à faire. La face du monde est sur le point d’être changée, et de grandes convulsions sont proches. Ces convulsions, c’est le choc des grandes armées nationales qui les provoquera ; il faut donc que ces armées deviennent conscientes de leur mission ; qu’elles sachent, au moins, que leur état présent n’a pas de sens. Et cela, c’est un soldat seul qui le leur apprendra ; c’est un soldat seul qui jettera ces troupeaux humains sur la route de l’avenir…

Je me rappelle une phrase prononcée, il y a bien des années, par le colonel Gabarrot : « Les portes du futur ne s’ouvrent pas toutes seules ; et il faut que le soldat vienne, et les enfonce à coups de canon. » Adèle continue, d’une voix rapide et profonde, convaincue :