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pas un chien vivant. Croyez-vous que mon père en soit là ? Mon Dieu, oui, il en est là.

— Oui, j’en suis là ! Quand on est chef de parti, on agit autrement. On ne laisse pas ses partisans en panne sous prétexte de légalité. La légalité ! En voilà une balançoire pour enfants de chœur ! Et maintenant, les tripoteurs du Palais-Bourbon peuvent dormir tranquilles avec leur homme en bois à l’Élysée et un civil au ministère de la guerre !

Mon père parle très haut, dans la salle à manger de son appartement où nous déjeunons ensemble au commencement d’avril, un jour ou deux après l’intallation de M. de Trisonaye rue Saint-Dominique.

— Un pékin au ministère de la guerre ! Il y a de quoi faire rougir cette sauce blanche. Et on l’a mis là sous prétexte qu’il faut réformer notre organisation militaire. Réformer ! Mais c’est aussi impossible que de donner un croc-en-jambe à un cul-de-jatte. Tout ficherait le camp aussitôt qu’on poserait la patte dessus. Et puis, il faudrait une patte solide. Tu l’as vu, toi, le ministre ? Tiens, tu vois cette asperge-là ? C’est ça, comme envergure. Il donne l’impression d’une souris blanche ; pas blanchie sous le harnais. Par exemple, voilà un poulet qui n’y a pas blanchi non plus, sous le harnais… Ce qu’il est noir ! On dirait Carnot. Parole d’honneur, il est en bois. Si j’avais dix ans de moins, et lui aussi, j’essayerais de le découper en m’asseyant dessus. Dis donc, Cornac, pourquoi vas-tu chercher tes poulets au musée de Cluny ? Est-ce que tu les achètes au stère ou à la corde ?

— Mon général, répond l’ordonnance, c’est pas moi qui achète la volaille.

— Je vois. C’est Lycopode. Alors, il n’y a rien à faire. Cette pauvre Lycopode, elle est dévouée comme un terre-neuve, mais pour la cuisine, c’est un chameau. De plus,