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la place laissée vacante par Boulanger. Il a été cruellement déçu. C’est le général Ferron qui s’installe rue Saint-Dominique.

Le général de Porchemart, bien entendu, ne m’avait pas mis au courant de ses projets et de ses espoirs ; mais je n’avais pas eu de mal à les deviner. Comme il se croyait sûr du succès, il ne prenait plus guère la peine de dissimuler. J’éprouvais même quelque chagrin à penser que cet homme, que je ne pouvais m’empêcher de juger supérieur, n’avait assigné d’autre but à son ambition qu’un rond-de-cuir ministériel. Mais l’autre matin, pendant une promenade, il m’a dit certaines choses qui m’ont fait penser que j’avais été trop prompt à tirer des conclusions. Je n’ai pas très bien compris, il est vrai, et je n’ai point osé questionner ; mais j’ai senti que le plan, quel qu’il soit, que cet homme avait tracé et que les circonstances lui interdisent de mettre à exécution, était terrible et grand.

— Au ministère de la guerre, m’a dit le général, il ne faut qu’une mazette. Un homme, là, ferait trop peur. Les Français, représentants et représentés, n’ont qu’une crainte : la guerre. C’est une crainte irraisonnée, physique, et voilà pourquoi elle est insurmontable. Vous l’avez vu dernièrement, lors de l’incident Schnœbelé. Que la guerre éclate réellement, vous verrez autre chose encore. À moins, bien entendu, que ce ne soit la France qui déclare la guerre, à moins qu’elle ne soit poussée au combat par un homme qui méprise les vaincus et qui rêve pour son pays autre chose que l’enlisement dans un marécage d’imbécillité. L’apathie actuelle, je vous le dis, n’a d’autre cause que la peur. L’oubli de la défaite est peut-être dans les esprits, mais le souvenir est là, grimaçant, dans le cœur… ou dans le foie. Écoutez, je vais vous dire une histoire ; vous la comprendrez. Un fermier belge m’a raconté ceci : Le lendemain de la bataille de Sedan, il