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Le danger étant passé, on explique à grand renfort de détails (bien français et surtout bien parisiens) quelles mesures on avait prises afin de le conjurer. Les militaires qui ont failli aller se battre exposent avec candeur comment ils se seraient battus. Le public écoute, bouche bée, saoul d’admiration. On assure que le général Boulanger avait envoyé à la frontière de l’Est quarante bataillons d’infanterie. Quarante bataillons ne suffisent point. On affirme qu’il en avait envoyé quatre-vingts. Puis, une centaine.

— C’est vraiment incroyable ! me dit mon père. La crédulité de ces gogos est insondable. Quatre-vingts bataillons ! La vérité, c’est que nous avons pu à grand’peine en expédier douze ou quinze. La compagnie de l’Est n’aurait pu en transporter davantage. Tout le monde devrait savoir qu’elle est hors d’état de rendre aucun service. En temps de guerre, à mon avis, elle serait obligée de bloquer ses locomotives sur la ligne de Lyon dès le début des opérations.

La panique causée par la menace d’un conflit a servi les parlementaires. Bien des gens qui leur étaient hostiles inclinent à penser qu’ils présentent, contre les entreprises du hasard, une protection supérieure à celle que peut offrir le héros populaire. Les législateurs commencent donc à attaquer vigoureusement l’homme providentiel ; et, dans les derniers jours de mai, l’homme providentiel abandonne son portefeuille.

Certaines irrégularités dans l’emploi des fonds à lui confiés avaient été reprochées au ministre. Les preuves de ces irrégularités ayant été fournies secrètement aux parlementaires par le général de Porchemart, ledit général de Porchemart s’attendait à se voir offrir, en récompense,