force, l’autre équivoquant sur son désastre et en proie à des convulsions rageuses — furent presque jetées dans l’arène, un beau matin, par le plus trivial des incidents, par une querelle de mouchards, par des démêlés d’argousins… L’affaire Schnœbelé…
En France, d’abord, ce fut de la stupeur. La guerre ! La guerre ? était-ce possible ?… Puis, ce fut la détermination prise, visiblement prise et à la presque unanimité, d’éviter la lutte coûte que coûte. L’affreuse peur sous laquelle avaient vécu pendant seize années les classes possédantes, qui flairent la révolution dans la guerre, apparut. On murmurait, en claquant des dents, que le conflit était impossible, serait insensé. Pendant des jours, on vécut ainsi qu’en un cauchemar. Au ministère, on ne rencontrait que visages effarés, que figures consternées. Mon père — combien d’autres avec lui ? — avouait tout bas que rien n’était prêt ; les milliards avaient été gaspillés, jetés aux mains avides de tripoteurs ; c’était 1870 qui allait recommencer… La presse, par ordre, recommandait aux citoyens de rester calmes. Calmes ! Ils étaient glacés par l’effroi, pétrifiés. Et pourtant, une fièvre intense s’était emparée d’eux, les consumait intérieurement, en silence ; fièvre qu’alimentait sans doute, plus encore que le pressentiment des périls du lendemain, le mortifiant souvenir des bravades de la veille. La transformation soudaine apportée dans un être par l’épouvante est énorme ; le sang des bêtes poursuivies, des cerfs traqués, des taureaux pourchassés dans le cirque, est empoisonné, littéralement empoisonné par la peur.
Et tout d’un coup, ce fut la délivrance. L’affaire, osait-on dire, était arrangée. Les patriotes des Ligues se remirent à narguer, moites encore de leurs transes.