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chemart, de son côté, hésite à se ranger parmi les adversaires déclarés du général Boulanger ; il s’y décide cependant en se ménageant, sans en rien dire, des portes de sortie.

La popularité du ministre de la Guerre s’accroît sans cesse ; cultivée, à l’aide de procédés intensifs, par des gens qui se dissimulent de leur mieux, eux et les intérêts variés qu’ils représentent. La foule des admirateurs, des fidèles, augmente ; foule que pousse une certaine honte de sa longue et abjecte inertie et à laquelle les indécents beuglements des Ligues et autres troupeaux d’ahuris donnent l’illusion de l’action. Boulanger accepte cette popularité comme un tribut naturel, dû. Il couche dessus ; étendu de tout son long, bottes vernies et barbe teinte, sur cette chose flasque et cotonneuse qui constitue l’âme française. Un peuple de barnums s’évertue, camelots de la haute et de la basse pègre, mâles, femelles et l’autre sexe. La presse maquille ses brêmes ; l’aristocratie maquille sa vieille gueule, se camoufle en tricoteuse ; les banques donnent des écus ; les tonsurés, des conseils. On maquignonne l’opinion publique, pitoyable Rossinante ; on lui fourre du coton tricolore dans les oreilles et un piment rouge autre part ; et le Don Quichotte de la manchette, sa lyre de fer-blanc au poing, se prépare à l’enfourcher pour de grandes expéditions à la statue de Strasbourg. Les assassins et les massacreurs prêchent la nécessité de l’union ; les voleurs prêchent l’honnêteté ; les sacristains, la tolérance ; les gardes-chiourmes, la liberté ; les cocottes chantent la vertu ; et les maquereaux, la famille. Le Devoir est à la mode.

— Trop de beaux sentiments, murmure tristement Gédéon Schurke. Voyez-vous, monsieur Jean, le Boulangisme mourra, non pas de son improbité — l’improbité est l’âme des partis forts — mais de ses prétentions à la vertu. Il ne parle que d’honneur, de pureté, de droiture.