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le dépeindre brièvement, mais avec toute l’impartialité qu’on attend vainement des critiques d’art.

Des monceaux de cadavres allemands ; des Prussiens se cachant, suivant leur coutume, derrière des murs et des arbres et tirant à coup sûr, bien à l’abri (ce qui semble en contradiction avec les tas de cadavres, mais ça ne fait rien). Une poignée de Français dans un débraillé galant, la vieille fureur gauloise dans les yeux, se défendent avec une détermination peu commune. Mme  Glabisot n’a point oublié notre vieil ami, le soldat dont un éclat d’obus a brisé le fusil et qui regarde la scène, indifférent, les mains dans les poches ; et elle a même peint — audacieuse innovation — un blessé qui se tient le ventre, dans un coin, en portant un scapulaire à ses lèvres. Elle a représenté mon père dans une attitude de capitan ; le sabre à la main ; la moustache en crocs ; le jarret tendu, et la face éclairée du sourire du défi.

Le public, le gros public, a ratifié le jugement du Tout-Paris. La Défense de Nourhas est proclamée chef-d’œuvre, et Mme  Glabisot une artiste de génie. On s’écrase devant la toile ; on fait queue pour pouvoir l’admirer.

Quelle leçon, quelle haute et féconde leçon de patriotisme se dégage de cette toile ! Voilà ce que des douzaines de lettres déclarent chaque matin à Mme  Glabisot ; et ce que des centaines d’épîtres, généralement féminines et agrémentées de l’expression plus ou moins voilée de sentiments brûlants, répètent tous les jours à mon père. Bien qu’il ait accueilli avec une modestie qui m’a étonné les témoignages d’admiration qu’on lui a décernés, il ne laisse pas de classer avec soin les missives qu’il reçoit. Une agence lui fournit des renseignements précis sur les aimables expéditrices ; ce qui permettra au général Maubart, veuf et héros, de faire un choix s’il y a lieu. Je dois dire, avant de terminer ce paragraphe, qu’il s’est décidé, après mûres réflexions ; il