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professant de telles idées, il était resté dans l’armée. Il a haussé les épaules.

— Par habitude, par impossibilité de gagner ma vie autrement, sans doute ; je n’ose pas me l’avouer. J’aurais mieux fait d’avoir le courage de lâcher l’épaulette. Ce que je pense aujourd’hui, je crois que vous le penserez plus tard ; je vous ai observé et je crois ne pas me tromper ; pourtant, comme vous êtes fils de général… Enfin… Quant à moi, j’ai souffert d’injustices et de passe-droits de toute nature. Engagé volontaire en 1870, j’ai fait toute la campagne et je suis resté dans l’armée. Pourquoi, encore ? Eh ! bien, s’il faut le dire, j’espérais une revanche qui aurait amené une révolution. Vous avez vu. La revanche a été faite par la muse à Déroulède, et la révolution par les curés. Des gens qui n’ont jamais vu le feu, qui sont des ânes et des descendants de traîtres, sont à mon âge commandants, au moins capitaines ; moi, je suis lieutenant, et sans chances d’avancement rapide. La raison ? J’ai vu le feu, je ne suis pas un âne, je ne descends pas d’un traître ; surtout, je suis protestant. Dans l’armée française, on n’arrive à rien sans billets de confession. J’ai avalé tout ça. Pourtant, ce qui vient de m’arriver est un peu trop dur… Je devais me marier avec la plus honnête et la meilleure des femmes ; une femme qui avait eu le malheur d’épouser un coquin, d’ailleurs très galonné, mais qu’un divorce, prononcé à son profit à elle, en avait séparé. J’avais adressé à qui de droit la demande en autorisation de mariage. Le général commandant la division a jugé à propos d’annoter cette demande. « Le divorce, a-t-il écrit, a pu entrer dans nos lois ; il n’est point entré dans nos mœurs ; il est réprouvé par l’Église et j’estime qu’en conséquence l’autorisation de mariage ne doit pas être accordé. » Et j’ai reçu avis, ce matin, que le ministre avait partagé l’opinion du général, et refusé l’autorisation. Voilà pourquoi j’étais de mauvaise humeur