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tireraient aussi un profit et ne le tireraient pas seulement de l’étranger ; bien des privilèges de toutes sortes, monopoles de propriété, etc., s’écrouleraient. Et si la guerre tourne mal pour la France, ce serait la Révolution avec sa grande gueule large ouverte. Voilà pourquoi tout ce qui est riche, tout ce qui est investi d’une autorité quelconque, est couard, enfonce la France de plus en plus dans cette fondrière de la lâcheté où les jésuites viennent vider leurs bénitiers. Ensuite, parce que les pauvres ont peur de la guerre, qui les ferait sortir de l’engourdissement dans lequel ils somnolent, injectés du venin de la sacristie, du virus de la presse et des poisons de l’alcool ; ils ont peur de la guerre parce qu’elle leur donnerait la liberté et qu’elle les débarrasserait, ils le sentent, des chefs qui les abrutissent et les grugent, et qu’ils respectent. On respecte dur et ferme, en France. On a trop de respect pour avoir du caractère. On est vaincu — vaincu — vaincu. Les riches savent ce que c’est que la patrie : c’est ce qu’ils possèdent. Les pauvres savent aussi ce que c’est que la patrie : c’est le drapeau. Nous en avons un, au régiment, qui porte en lettres d’or les noms d’Arcole et de Puebla. Ce drapeau, c’est la patrie. Que représentait-il à Arcole ? Le pillage. Que représentait-il à Puebla ? Le vol. Et puis, d’abord, ce n’est pas vrai, tout ça ! Le drapeau qui a flotté à Arcole a été pris en 1812 et pend aux voûtes de Notre-Dame de Kazan, une cathédrale russe ; le drapeau qui a flotté à Puebla a été pris en 1870 et est accroché au mur du Zeughaus, à Berlin. Fraude ! Blague ! C’est du mensonge qui est cloué à cette hampe, et qui palpite dans cette soie ! La Patrie, ce n’est pas le drapeau : c’est ça !

Et le lieutenant Deméré, d’un vigoureux coup de talon, a frappé la terre. J’ai gardé le silence, ne sachant que dire, n’osant approuver, très embarrassé. Au bout d’un moment, pourtant, j’ai demandé à mon collègue pourquoi,