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superstition et toutes les misères qu’elle entraîne, où personne ne connaîtrait la faim, et où chacun connaîtrait la joie, qui serait comme un grand jardin, et qui serait la Belle France ? Et n’est-ce pas une illusion, une imposture, un cauchemar, que la France qui existe ? La France des grandes villes, avec sa population affamée, soularde et fanfaronne, avec ses décors de fausse richesse et de gloire en toc encadrant la lamentable agonie des volontés populaires, la défaillance calamiteuse de l’art. La France des campagnes, avec la tristesse de ses bourgs et la désolation de ses villages ; ses terres en friche ou cultivées à l’aide de procédés piteux, anachroniques ; ses maisons rechignées, avares et cancanières ; ses monuments publics, étriqués et vieillots, bafoués de l’insolente pierre neuve des couvents qui s’élèvent partout ; ses chaumières puantes où des mégères malpropres cuisent des soupes malsaines, où bêtes et gens vivent dans une indescriptible promiscuité ; où les enfants, ligotés dans leur berceau comme des suppliciés sur la claie, braillent désespérément des journées entières, couverts de sueur et de bave, noirs de mouches ; cette France des campagnes dont la terre volontairement appauvrie ne nourrit plus le paysan que grâce aux impôts épouvantables dont on écrase l’ouvrier et l’artisan ; qui se dépeuple tous les jours davantage ; dont la jeunesse, mâle et femelle, s’enfuit vers les grandes villes ; dont les routes sont parcourues par des trimardeurs, qui menacent, la faim au ventre ; dont les misérables possédants, vaguement conscients de l’iniquité de leur possession précaire, vivent dans la perpétuelle terreur de l’usurier, de l’incendiaire, du partageux ; dont les hommes, affolés par l’inquiétude, rêvent d’un despotisme protecteur, armé jusqu’aux dents, et acclament fiévreusement les soldats auxquels ils vendent l’eau, à l’étape ; dont les femmes, exaspérées par l’isolement et la monotonie de l’existence grise, hennis-